Cette année au mois d’avril, les MEP du Japon se sont réunis et, intéressés par la volonté du diocèse de Fukuoka de reconstruire le Centre pastoral où je travaille avec les gens en souffrance, m’ont invité à partager les raisons qui m’ont poussé à m’engager avec eux.
Le 1er avril 2017, le Centre de Minoshima a e commencé sa 25 année en solidarité avec les laissés-pour-compte de la société japonaise dans une situation un peu paradoxale puisque les bâtiments du Centre, inutilisables pour cause de dangerosité, viennent d’être démolis. L’évêque de Fukuoka, Monseigneur Dominique Miyahara Ryoji, fait plus que nous encourager à continuer le travail accompli à Minoshima dans la ligne de ce que le pape François nous suggère de faire : aller aux périphéries, faire de notre Église un hôpital de campagne et cheminer avec les plus petits et les plus vulnérables avec respect et amitié... Considérant le Centre de Minoshima comme un visage de L’Église important pour le diocèse et sa pastorale, il a décidé sa reconstruction.
Bien sûr entre-temps les étrangers, les sans-domiciles, les jeunes drogués avec lesquels nous sommes en relation sont toujours là et nos activités continuent avec le soutien des prêtres du secteur et des chrétiens des paroisses avec qui nous avons pu établir des relations plus étroites et une meilleure compréhension de notre travail.
Un Centre très œcuménique
Nous avons des dizaines de volontaires qui, soit pour aider les travailleurs étran- gers, soit pour les jeunes drogués ou les sans-domiciles, se
réunissent au centre de Minoshima ; et pas seulement des catholiques, si peu nombreux au Japon. J’ai assisté avec joie et stupéfaction à l’émergence d’une communauté très disparate : des catholiques, des protestants, des bouddhistes, ou d’autres « sensibilités religieuses ou idéologiques » mais unis par un même esprit qui est celui de l’amour et du respect des pauvres, et le désir de partager leur pauvreté.
L’origine de mon engagement
Pour moi à l’origine il y a sans doute une sensibilité, un attrait pour les périphéries qui s’est renforcé petit à petit dans des rencontres avec des gens concrets dans ce pays où la « Cérémonie » est si importante.
J’ai eu certainement beaucoup de chance ! Chance de rencontrer à mon arrivée au Japon un groupe de prêtres MEP et Japonais de la JOC qui m’ont invité à travailler avec eux, et malgré ma méconnaissance du milieu ouvrier, m’ont permis de rencontrer des jeunes ouvriers. Mon premier contact avec le Japon ! Voir la société japonaise avec le regard des « petits », des laissés-pour-compte, jeunes travailleurs et plus tard travailleurs étrangers, SDF, jeunes dépendants de la drogue...
Dans des communautés chrétiennes j’ai connu l’ouverture dès le départ aux « non- chrétiens », cet « ad gentes » si cher aux MEP et les révisions déchirantes que cela peut entraîner dans notre façon de nous situer comme messager de l’Évangile ! Cette première expérience a dû rester profondément ancrée dans le tréfonds de mon cœur.
Et puis les rencontres fortuites ressenties comme des appels !
Celle des travailleurs étrangers, ces Péruviens vrais ou faux descendants des Japonais émigrés au Pérou il y a deux ou trois générations, venus chercher l’eldorado au Japon ! Les « sans visa » parqués dans des centres de détention de l’immigration m’ont permis de découvrir ces souffrances des migrants et de continuer de les visiter encore aujourd’hui. Ces messes pour moi inoubliables de Pâques ou de Noël à l’intérieur du centre de détention où catholiques, protestants, musulmans, bouddhistes, chantent ensemble la joie de se retrouver !
Cette première rencontre avec les jeunes dépendants de la drogue. Ce jeune qui me réveille au milieu de la nuit et que je trouve sniffant des vapeurs de colle au 3e étage de l’église se prenant pour un papillon et que je rattrape avant qu’il ne se jette dans la rue... une véritable « Annonciation » pour moi où mon archange Gabriel était ce petit gars qui sniffait de la drogue et moi qui suis tombé amoureux de ces gars ! Malgré mon ignorance complète du monde de la drogue et mon refus ini- tial de les accepter au Centre, plus de vingt ans après je vis encore avec eux. Et je ne peux m’empêcher d’y voir la main de Dieu qui nous mène parfois là où nous n’avons pas prévu d’aller.
Ce SDF rencontré il y a plus de vingt ans et terrassé par une pneumonie, qui pleurait comme une madeleine dans ses boîtes de cartons sur le bord de la rivière et que j’ai amené aux urgences un soir d’hiver. Je le revois quelques semaines après en bonne forme lui disant qu’il devait avoir bien mal pour pleurer comme ça. Il me répond que ces larmes n’étaient pas des larmes de souffrance mais des larmes de joie : Parce que c’était la première fois que quelqu’un s’intéressait à lui... « L’homme ne vit pas seulement de pain... » Plus que de la maladie et de la faim c’était de ne pas être aimé qu’il souf- frait. Cela fait maintenant plus de trente ans que je tourne la nuit « à la recherche du temps perdu » ?
Le chemin de l’Église
Nous avons eu de grands papes dans l’Église d’aujourd’hui avec Jean Paul II et son énorme charisme d’ouverture au monde, une période plus calme avec Benoît XVI qui a eu le grand mérite de reconnaître ses limites, et François ! Mon Dieu comme j’aime ses paroles et ses gestes. Quand il nous dit que l’humilité est l’ADN de Dieu. Quand il nous dit d’aller aux périphéries, que l’Église doit être un hôpital de campagne... Que L’Église doit adopter « La grammaire de la simplicité », que l’Église ne peut pas s’éloigner de la simplicité, sans quoi nous perdons ceux qui ne nous comprennent pas, en exportant de l’extérieur une ratio- nalité étrangère aux gens que nous rencontrons. Une Église prisonnière de ses langages rigides peut-elle être encore une Église capable de réchauffer le cœur ?
Quand il nous fait l’éloge de la lenteur. L’Église sait-elle encore être lente : dans le temps pour écouter, dans la patience pour accueillir, recoudre et recomposer. Une Église qui accompagne le chemin en se mettant en chemin avec les personnes, de marcher dans la nuit avec eux. De dialoguer avec leurs illusions et leurs désillusions, de recomposer ce qui a été détruit en eux...
Que dans la maison des pauvres Dieu a toujours une place.
C’est un peu la « charte pastorale » que nous voulons appliquer dans le Centre pastoral de Minoshima cherchant en particulier sur le visage de ceux dont l’existence a été malmenée et douloureuse, qui n’ont pas eu leur part de bonheur, les traces du visage de Jésus Christ.