L’Évêque d’Osaka, Mgr Maéda, vient d’être promu cardinal, le 28 Juin. Depuis bientôt 4 ans, il conduit le diocèse vers une nouvelle évangélisation, qui vise d’abord à remettre l’Évangile à la base de la vie chrétienne. Pour bien comprendre cette nouvelle orientation, il faut connaître les chemins empruntés par le diocèse depuis le Concile.
Après Vatican II, qui précéda de quatre ans la révolution culturelle de mai 1968, les évêques du Japon, soucieux de mettre en pratique les orientations du concile, élaborèrent trois directives. La première était d’approfondir sa foi par le partage de la Parole de Dieu et de la prière. La deuxième demandait de s’engager dans les activités sociales pour plus de justice, d’entraide, et d’amélioration de la vie, en somme pour christianiser la société. La troisième était que chaque fidèle se sente responsable, là où il vit, de l’annonce du salut par le Christ.
Mais comme il n’y avait pas beaucoup d’écho ni de la part des prêtres ni de la part des fidèles, les évêques décidèrent en Juin 1984, de réunir une conférence nationale, appelée NICE (National incentive conference for Evangelization), prévue pour novembre 1987, à laquelle participeraient les délégués du clergé, des religieux, et des laïcs. Cette conférence devait être préparée dans tous les diocèses, dans tous les groupes, qui finalement choisiraient leurs délégués.
Le projet NICE n’a pas eu beaucoup d’écho chez les prêtres d’âge moyen ou plus âgés, mais beaucoup parmi les plus jeunes qui l’ont accueilli avec enthousiasme. À Osaka ils ont ainsi gagné rapidement la confiance de l’évêque, et ont fini par le coiffer complètement. En fait ils ont « détourné » l’avion de la foi vers le social et le caritatif.
Un certain nombre de chrétiens n’étaient pas en retard. À l’église de Kitasuma, dont je m’occupais alors, en juin 1985 nous avons discuté au conseil paroissial des documents envoyés par l’évêché. Comme dit plus haut, il fallait voir comment les chrétiens pourraient en pratique approfondir leur foi par le partage de la Parole de Dieu et de la prière. On a lu les textes. Je les ai présentés et commentés un peu, et on a demandé à chacun de dire son opinion. Silence complet. Au bout de dix minutes le modérateur de la réunion a dit : puisqu’il n’y a pas d’opinion, passons au sujet suivant. J’ai expérimenté là combien l’esprit de la société sécularisée avait atteint les croyants. Ils venaient à la messe du dimanche, assuraient volontiers un service ou un rôle dans l’Église, mais dans quelle mesure avaient-ils une relation personnelle et profonde avec le Christ ? En fait, ils n’avaient pas en eux-mêmes de quoi parler de leur foi entre eux, encore moins d’en parler aux non-chrétiens.
Au moment de la conférence nationale des délégués, NICE, en novembre 1987, une grand partie des participants étaient déjà acquis à l’orientation vers le social, et NICE l’entérina. L’esprit de la révolution culturelle de 1968 avait beaucoup pénétré l’Église.
À Osaka, un « plan d’évangélisation », appelé « nouvelle naissance » (新生 : shinsei) fut élaboré pour le diocèse. Pour le lancer l’évêque convoqua, au début de septembre 2008, une session obligatoire pour tous les prêtres travaillant dans le diocèse. L’orateur principal était le Père Honda, ancien provincial des franciscains, mais qui, tournant casaque, travaillait maintenant dans le bidonville de Kamagasaki, à Osaka. Son propos pouvait se résumer de la manière suivante : pas besoin de proclamer l’Évangile ; la semence de la Parole de Dieu a déja été semée dans chaque homme par le Grand Semeur. Il suffit de la faire découvrir par l’engagement dans l’action caritative et les activités de promotion sociale. Celui qui est dévoué aux laissés-pour-compte ira directement au ciel. Pas besoin de croire au Christ, ni d’être baptisé. Le temps des semailles est fini, c’est le temps de la moisson !
Un assez grand nombre de prêtres dans leurs sermons et enseignement ne parlaient plus de Dieu, mais d’eux-mêmes et des évènements récents ou de l’engagement social. Un prêtre dans une paroisse, en 7 ans n’a parlé de la foi que deux fois, dont une fois avec une telle ferveur que j’en ai été étonné. À Noël il parlait des Noëls de son enfance à Nagasaki ou dans des pays où il avait séjourné, et à Pâques des cerisiers en fleurs symbolisant une vie nouvelle dans la nature. L’évêque auxiliaire en visite dans une paroisse le dimanche, proposait comme modèle pour les Chrétiens une non-chrétienne qui avait fait une institution pour les enfants au Bangladesh. Plus de distinction entre prêtres et fidèles, tous étaient égaux. Ainsi, à une messe d’ordination, des garçons et des filles de 13 à 15 ans, sans aube ni signe distinctif ont distribué la communion aux prêtres, qui restaient assis sur leur siège. Il ne fallait surtout pas dire qu’on avait la vérité : c’était se mettre au-dessus des autres. Le grand mot à la mode était « partager », partager mutuellement ce que chacun avait.
Les prêtres qui étaient soupçonnés de ne pas suivre cette ligne, ou même simplement victimes de plainte à l’évêché de quelque paroissien mécontent étaient mutés ou envoyés en année sabbatique ou même expulsés du diocèse. Cette mésaventure est arrivée à une dizaine de prêtres diocésains et étrangers. Le prêtre avait toujours tort, le fidèle, toujours raison. Un Père Xaviérien qui avait transmis à l’évêché la demande des paroissiens de ne pas supprimer leur Église fut traité de contestataire, et expulsé du diocèse. Un prêtre diocésain avait voulu renouveler les membres du conseil paroissial en place depuis plus de 15 ans, fut envoyé en année sabbatique. À un missionnaire l’évêque déclara : « vous n’avez pas la même façon que moi de voir la pastorale », et sans autre forme de procès l’expulsa du diocèse. Un prêtre diocésain, sur la plainte de quelques conseillers, fut changé de paroisse. C’était un peu la dictature. Le peuple de Dieu est souverain, surtout par les contestataires. Le prêtre dit la messe, célèbre les sacrements, et enseigne les catéchumènes, quand il en a. En fait c’était l’équipe diocésaine qui commandait.
Des années plus tard, lors d’un congé en France, j’ai compris le sens de ce qui se passait au Japon, et dans les pays développés. J’ai vu un livre qui m’a intrigué, je l’ai acheté et je l’ai lu. C’était « N’éteignons pas l’Esprit » par Mgr Cordes, responsable de fait du Comité pour les laïcs à Rome. Mgr Cordes, voyageant dans le monde entier connaissait bien la réalité. Il cite l’analyse du monde actuel par le théologien suisse, Urs Von Balthasar, créé cardinal quelques semaines avant sa mort : « Il perçoit, dans l’Église d’aujourd’hui, une tendance qui considère que la foi est en train d’être dépassée, ou pratiquement vidée de sa substance, par la science. Pour lui, la pensée chrétienne subit une fission qui atteint jusqu’à ses fondations. Précédemment, les articles de foi, pour être l’objet de la réflexion théologique chrétienne, n’étaient plus censés être remis en question, alors que, de nos jours, la conception est inverse ; ce sont précisément ces articles — c’est-à-dire à la fois leur contenu et l’acte de foi qui lui est associé de droit — qui sont soumis à l’interrogation rationaliste ; et cette conception donne à la plupart de ces articles un contenu nouveau, considérablement restreint, réduit à la plausibilité anthropologique. » (p 16) (plausibilité anthropologique : utile pour le bien de la société ?)
Dans la foulée je cherche à la grande librairie La Procure à Paris, et j’y découvre le livre de Jean Guitton : « Silence sur l’essentiel ». Il dit la même chose sous une forme différente. On ne nie pas les articles de la foi comme le faisaient autrefois les hérétiques. On accepte ce qui est conforme à la raison, au bon sens naturel, et tout ce qui est utile pour le bien de la société. Mais simplement on ne parle plus des vérités centrales de la foi chrétienne : Dieu créateur et tout puissant, la Providence, le péché originel, l’activité du diable, la divinité du Christ, les miracles, la rédemption par la croix du Christ, la résurrection de Jésus, le ciel, le purgatoire, l’enfer etc.
Mais revenons à nos moutons. L’année 2015 marque le 150e anniversaire de la découverte par Mgr Petitjean, le 17 Mars 1865, des Chrétiens cachés de Nagasaki, qui avaient gardé la foi pendant les 250 ans de persécution par les Shogun Tokugawa. Du 15 au 17 Mars de cette année-là eut lieu un pèlerinage national pour commémorer cet événement. Mgr Maéda est un descendant de ces Chrétiens héroïques.
A Osaka, la première Église construite et la reprise de l’évangélisation eurent lieu trois ans plus tard en 1868, et Mgr Maéda a fait du 150e anniversaire de cet événement l’année 1 du renouveau de la foi dans le diocèse. Tous les Chrétiens sont appelés à témoigner de leur foi et à évangéliser.
Mgr Maéda invite à revenir à la source, à l’esprit et à la ferveur des débuts du christianisme depuis le temps des apôtres. Et il a établi un nouveau plan pour le diocèse, appelé « re-nouvelle naissance » (再新生 : saïshinseï), pour « compléter » le plan précédent. En fait c’est un plan complètement nouveau. Mais Mgr Maéda préfère garder les formes, quitte à y mettre tout autre chose.
Et iI propose comme modèle Ukon Takayama, un daïmyo chrétien, qui, refusant de renier sa foi, fut privé de son domaine en 1587, et pendant 27 ans erra de châteaux d’amis daïmyos en îles isolées, avant d’être finalement expulsé en 1614 aux Philippines, où il mourut deux mois plus tard.
Ukon a été déclaré « Bienheureux » en février 2017, par le délégué du Pape au cours d’une cérémonie grandiose dans le hall du château d’Osaka.
Notre évêque présente Ukon comme un homme de prière, charitable, proche des gens, et qui transmet sa foi autour de lui. Ukon allait lui-même avec les missionnaires dans les villages de son domaine de Takatsuki, encourageant les gens à recevoir le Christ, mais sans jamais les forcer.
Aux environs de l’an 1925 des Pères M.E.P. ont découvert près de Takatsuki des descendants de ces chrétiens. Ils connaissaient encore les prières, quoique avec une prononciation parfois déformée.
Mgr Maéda propose donc Ukon comme modèle pour les chrétiens du diocèse d’Osaka aujourd’hui. Ukon est pour eux un encouragement à une vie plus intime avec le Seigneur, et une invitation à témoigner du Christ, à transmettre leur foi autour d’eux. Car imiter Ukon c’est imiter le Christ, comme le dit l’Apôtre Paul : « Vous nous avez imités, nous et le Seigneur » (1Th 1,6)
Notre Évêque veut aussi ressusciter le « seminario », qui était une maison de formation du temps de la première évangélisation, après l’arrivée de Saint François-Xavier au Japon en 1549. Ce nouveau seminario préparerait de futurs prêtres, et formerait des catéchistes.
Et sur la lancée de son élévation au cardinalat, Mgr Maéda a obtenu la nomination de deux évêques auxiliaires. L’un, le père José Abella, espagnol, 68 ans, longtemps supérieur général des Clarétiens, et le père Toshihiro Sakaï, 58 ans, membre de l’Opus Dei, qui a l’expérience du travail en paroisse et une bonne connaissance de la liturgie. Ces deux auxiliaires aideront Mgr Maéda dans la tâche du renouveau de la foi dans le diocèse. Ils ont été consacrés le 16 Juillet de cette année 2018 à la cathédrale d’Osaka, solennellement, et avec une grande participation des Chrétiens.
Dans la société très sécularisée du Japon où les choses matérielles, le succès, les différentes satisfactions sont la préoccupation principale, on est plutôt fermé à ce qui est spirituel. Et les Chrétiens insensiblement en sont influencés.
« Ré-évangéliser les Chrétiens » est une tâche ardue. On n’est pas ici dans une culture où le religieux fait partie de la vie de tous les jours, comme dans les pays du Sud-Est asiatique, ou même en Corée.
Beaucoup sentent la nécessité de prier intensément pour ce renouvellement. Pour que l’Esprit Saint renouvelle complètement la vie des croyants comme à la première Pentecôte. Nous souhaitons, et nous prions pour que Dieu le Père tout-puissant, qui a choisi les Chrétiens du diocèse d’Osaka les visite aujourd’hui « pour en faire son peuple ».
L’Ossevatore Romano du 19 Juillet donne un interview du « poète et cardinal » Maéda, citant un haïku écrit par lui à l’occasion de sa nomination comme cardinal.
Traduction en français de l’Osservatore Romano
Dans un ciel serein
Un grondement
Comme une Pentecôte
Original en japonais (Essai de traduction)
晴天の (seiten no) dans le ciel serein
霹靂のごと (hekireki no goto) comme un coup de tonnerre
降臨祭 (kôrinsaï) une Pentecôte